Didier Calame
Conseiller national
Un homme de terrain qui a les pieds sur terre
et dans la terre.
Lorsqu'on parle d'alimentation, on ne parle pas d'idéologie, on ne parle pas de survie, de stabilité et de responsabilité. C'est précisément pour cela que cette initiative pose problème : elle traite un enjeu vital avec des objectifs simplistes. Cette initiative prétend renforcer notre sécurité alimentaire, mais le Conseil fédéral rappelle une chose essentielle : la Suisse ne souffre aujourd'hui d'aucune pénurie alimentaire structurelle. L'approvisionnement est garanti, la qualité est élevée et l'eau potable est en général de très bonne qualité. Autrement dit, nous ne sommes pas dans une situation d'urgence alimentaire. Cela ne signifie pas que tout est parfait, mais cela signifie qu'il faut agir avec rigueur, pas avec des slogans.
L'initiative impose un chiffre : 70 pour cent d'autoapprovisionnement. Cependant, soyons honnêtes : un pourcentage ne nourrit personne. Le Conseil fédéral le souligne clairement. Le taux d'insuffisance ne reflète pas à lui seul la véritable sécurité alimentaire. Pourquoi cela ? Parce que la sécurité alimentaire dépend aussi des intrants, de l'énergie, des engrais, des semences, des chaînes logistiques et des capacités de transformation. La Suisse restera dépendante de l'étranger pour beaucoup de ces éléments. Créer l'illusion d'indépendance avec un chiffre constitutionnel, c'est une fausse sécurité.
Pour atteindre cet objectif chiffré, le Conseil fédéral l'explique clairement : il faudrait bouleverser la production agricole, modifier profondément la consommation, réduire massivement l'élevage et investir lourdement dans de nouvelles filières végétales - et tout cela en dix ans. Dix ans pour transformer un système alimentaire entier, c'est irréaliste ! On nous promet une transition écologique, mais attention : si la production suisse diminue trop vite, les importations augmenteront. Avec les importations, on importe aussi des normes plus faibles, des distances plus longues, une empreinte carbone plus lourde et des conditions de production incontrôlables. En réalité, on ne protège pas l'environnement en affaiblissant sa propre agriculture durable.
Il y a aussi une question financière : qui payera cette transformation ? Le Conseil fédéral est clair : les coûts seront importants, mais impossibles à chiffrer aujourd'hui. Nous voterions donc sans budget clair, sans plan précis, sans visibilité financière. C'est un saut à l'aveugle. Quand on parle d'alimentation, on ne gouverne pas à l'aveugle.
Enfin, une remarque essentielle : la Constitution n'est pas un plan d'exploitation agricole. C'est un catalogue de seuils techniques. Ce n'est pas un règlement de production. Inscrire dans la Constitution des objectifs chiffrés et des normes agricoles détaillées, c'est figer aujourd'hui une politique qui doit évoluer demain. Ce qu'il faut, c'est une politique agricole vivante, ajustable, réactive, fondée sur les faits, pas gravée dans la pierre.
Cette initiative ne garantit pas la sécurité alimentaire ; elle donne l'illusion du contrôle. Elle ne renforce pas la durabilité ; elle fragilise les équilibres. Elle ne protège pas l'agriculture ; elle la met sous tension. La Suisse dispose déjà d'outils solides. La future politique agricole poursuivra l'amélioration de notre système alimentaire.
Pour notre souveraineté réelle, pour notre agriculture vivante et pour notre sécurité responsable, je vous invite à recommander de rejeter cette initiative.
Didier Calame
Les Planchettes (CH) (NE)